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L’Autheur se met en voye vers la montaigne, ouoù se tient Heraclite, &et Dianeo s’apparoist à luy, pour le conduire.
CHAPITRE. I.
PLeurantePleurante Muse auecavec piteux accents,
Et vous parler plein de triste douleur,
Accompagnez mes vers de deuil recents,
4Qui n’ont en eulx quelque cas de valeur :,
Sinon propos de misere &et malheur,
OuOù nostre vie est toute enseuelyeensevelye :,
Et toy Phœbus, spire en moy ta faueurfaveur,
8Dont l’ignorance humaine est abolye.
Au moyen d’elle, en mon cueur iaja emprainte,
IeJe descriray du pleureur Heraclite
La pitoyable &et amere complainte,
12Qui ne se doibt penser estre petite :.
AÀ cela faire, vneune pitié, m’incite,
De nostre erreur, &et tant grande misere :,
Laquelle plus de pleurs ores merite
16Qu’au temps paßépassé elle ne souloit faire.
ParauentureParaventure à trois mil, ou peu presprès
Loing du Palais, auquel ij’auoisavois veu rire
Democritus :, qui se mocquoit expresexprès
20Du peuple fol, de ce mondain Empire
Estoit la plaine, (ouoù toute chose empire,)),
Dont se voyoit dessus vnun hault recoing
D’vneune montaigne, vnun logis assez pire
24Qu’autre logis, à le iugerjuger de loing.
LaLà ieje conclu de cheminer vnun iourjour,
Pour visiter ce lieu, tant solitaire,
OuOù Heraclite estoit triste, en seioursejour :,
28Car hors de moy ne se pouuoitpouvoit distraire
Encor le feu du desir, qu’en moy faire
AuoitAvoit voulu mon Ange bien aymé :,
Lequel ij’inuocqueinvocque en toute mon affaire,
32Pour de ses biens n’estre ingrat estimé.
Il est certain qu’auecquesavecques bien grand doubte,
De ne scauoirsçavoir tenir la droicte voye,
IeJe cheminoys en esperance toute,
36D’estre au logis, que veu de loing ij’auoyeavoye :.
Guyde ieje n’ay aucun qui me conuoyeconvoye,
Dont me trouuaytrouvay quelque peu esperdu,
Car les dangers du lieu ieje ne scauoyesçavoye,
40Qui me sembloit comme vnun pays perdu.
Or cheminant en ceste fantasie,
Et appellant sans cesser mon bon Ange,
Qui parauantparavant me faisoit compagnie :,Apparition d’vnun esprit à L’Autheur.
44Voyla vnun corps merueilleuxmerveilleux &et estrange,
Qui deuantdevant moy se presente &et se range :,
Legerement auecavec deux grandes aesles,
Sa face estoit maigre, &et iamaisjamais ne change,
48Comme vneune face oultre les naturelles.
Luy se ioignantjoignant sur moy à l’impourueuimpourveu,
IeJe devins pasle &et transy en visage,
Ne plus ne Moinsmoins comme si ij’eusse veu,
52La fiere Mort, me mettre en son seruageservage :.
IJ’eu telle peur, que ieje perdy l’vsageusage,
De ne pouuoirpouvoir vneune parolle mettre
Hors l’estomach : onc en iourjour de mon aage,
56IeJe n’auoisavois veu telle peur en moy estre.
Luy me voyant si grande crainte auoiravoir,
« Frere (dit il) ne sois tant esperdu,
Ce te sera encores de me voir
60Bien grand plaisir, qui certes t’est bien deu :.
IJ’ay de ton Ange amyable entendu,
Et ton besoing, &et ta vie, or entens,
Par luy, vers toy du Ciel suis descendu,
64Pour te conduyre au lieu ouoù tu pretens.
Puis qu’à present venir vers toy ne peult,
En lieu de luy reçoy moy pour escorte,
Tu doibs vouloir tout ce que le Ciel veult,
68En lieu du sien, mon secours ieje t’apporte :,
Vers toy m’enuoyeenvoye icy, or te conforte,
ParauentureParaventure il est present außiaussi,
Sois vertueux, &et en puissance forte,
72Chasse de toy toute crainte &et soucy.
Par deuersdevers toy sans le vouloir diuindivin,
Ne suis venu, pourtant n’aye plus peur,
Et seurement suy moy en ton chemin :. »
76Alors le sang qui fuyoit vers mon cueur,
Vint en ma face, &et la pasle couleur
En chassa hors, par la vertu congneueCŏparaisŏComparaison.
De ce parler, comme de la lueur
80Du beau Soleil, faict Borreas, la Nue.
Moy donc restant sans plus estre esbahy,
M’ayant osté son dit solacieux
VneUne couleur d’vnun Homme enseuelyensevely,
84IeJe commençay à haulser mes deux yeulx,
AuecAvec plus grande asseurance, pour mieulx
Le contempler, &et en le regardant
AuecquesAvecques voix &et gestes gracieux,
88Le merciay son secours attendant.
Mais quand ieje fu vnun peu plus presprès de luy,
La peur encor renouuelarenouvela en moy,
Car d’vnun regard puis clair, puis esblouy,
92Me regardoit, dont ieje fu sur ma foy,
Entre esperance &et crainte, en tel esmoy,
Que ij’estois hors de moy, &et tant l’aymois,
Que de tant plus que l’approchois, ieje croy
96Que de tant plus en luy me transformois.
Comme il aduientadvient à celuy qui contemple,CŏparaisŏComparaison.
Chose nouuellenouvelle &et rarement trouuéetrouvée,
Il monstre assez en veue expresse &et ample,
100Combien elle est de par luy approuuéeapprouvée :,
Or iéje voulant par responce prouuéeprouvée,
De son estat, certain &et seur me rendre,
Sans m’aleguer parolle controuuéecontrouvée,
104Le suppliay qu’il le me fist entendre.
En soubzriant me va respondre ainsi, :
« Pourquoy se change ainsi ta face belle ?
Petite Foy ieje congnois, en cecy,
108Estre en ton cueur, &et la raison est telle,
Ne scaizsçaiz tu pas que l’oeuureœuvre &et la sequelle
Qui part de moy, ne se fait celément : ?
Le nom que ij’ay le declaire &et decelle,
112Qui m’est donné du plus hault element.
Dianeo est mon nom, &et mon pereDianeo, vault autătautant à dire comme, ardant.
Est le Repos :, ce repos lalà ieje prens,
Qui a donné louenge &et nom prospere
116Aux Poetes sainctz, victorieux du temps :.
Apollo l’ayme, &et encores entens
Que ma mere est dicte Solicitude
De la Vertu ministre, &et moy ij’entens
120D’estre en ton cueur plein de beatitude.