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DEPLORATIONDeploration DEde LAla MORTmort de FrancoysFrançoys de Valoys iadisjadis daulphin de France, premier filz du Roy, Auecquesavecques deux Dizains dudict seigneur par l’esclaueesclave fortunefortuné.
Las &et quel dueil, Quelle douleur extreme
De perdre ainsi chose que chascun ayme
Quel desplaisir
Las quel malheur nous est venu saisir
5Quel grand ennuy noz tristes cueurs choisir
Quelle infortune,
Veult maintenant tant nous estre importune
Que nous perdiõsperdions par mort aà tous commune
Nostre Liesse,
10Que nous perdions en si grande ieunessejeunesse
VngUng prince beau, hellas &et quel dieu esse
Qui pour nous faire
Dueil, &et ennuy a voulu le deffaire
FauorisantFavorisant au be soing &et affaire
15De l’ennemy.
Ha que ce dieu eust esteesté endormy
Sans fin, sans fin. Ou que plus nostre amy,
Se feust monstremonstré
Et qu’il n’eust point de son dart rencontrerencontré
20Celluy, par qui vngung chascun est entreentré
Au lac de lharmes
Au lac de pleurs : &et de douloreux termes
Qui tant nous rẽdrend foibles, &et tãttant peu fermes
Qu’il semble bien
25AÀ noz faconsfaçons, &et aà nostre maintien
Qu’en cestuy monde il ne se trouuetrouve rien
Qui ferme soit.
Ha maintenatmaintenant France bien l’appercoitapperçoit
Quant elle veoit mort, cil qu’elle pensoit
30Estre son Roy,
Quant elle veoit la mort, &et son arroy
f. Aii v°
AuoirAvoir commis son trop felon desroy
Sur creature.
Qui ensuyuantensuyvant le vray droict de nature
35DebuoitDebvoit venir par sang, &et par droicture
AÀ la coronne.
ÔO quel torment maintenant enuyronneenvyronne
Ce Royal cueur, ceste illustre personne
Le Roy son pere.
40Roy, plus que Roy, &et Roy que l’on espere
Par congnoissance &et d’astres, &et de sphere
Vaincre, &et monter,
Et en brief temps tous ceulx lalà surmonter
Qui ont voulu ses beaulx pais dompter
45Contre Raison,
En occupant les droictz de sa maison
Que luy, les siens en tout temps, &et saison
Ont maintenuz
Encontre tous, qui contre sont venuz
50Feussent voisins, alliez, incongnuz
Et ont soubmis
Venitiens, Anglois, &et leurs amys
Et tous ceulx lalà qui iadisjadis se sont mis
Contre la franceFrance
55Pour la bouter en ruyne, &et souffrance
Et luy donner, pouuretezpouvretez aà oultrance
f. Aiii r°
Par dure guerre.
Dieu n’a voullu que qu’vneune si noble terre
Feust iamaisjamais mise, &et en cela ieje n’erre,
60Entre les mains
De ces Tyrans, barbares inhumains,
Mais par sa grace il a monstremonstré aà maintz
Qu’en ce pais
N’estoient les gens estonnez, n’esbahis
65Pour enchasser ceulx, dont estoient hays
AÀ coupz d’espeeespée.
Y vint Cesar, y soit venu PompeePompée,
France tousiourstousjours s’est tresbien occupeoccupé
Au faict des armes,
70Et n’a iamaisjamais rien doubtedoubté leurs alarmes
Leurs arquebuz, leurs picques, &et guisarmes :
Mais a battu
Ses ennemis. Et si bien combattu
Le temps passepassé, qu’elle a tout abbattu
75Leur grande gloire,
Si qu’on disoit qu’il n’y auoitavoit victoire
Que pour FrancoysFrançoys, dõtdont on faisoit memoire
Par tout le monde.
Or toutesfois celle deesse immunde
80Celle chymere &et mort tresfuribunde
Despuis vngung temps
Nous a rendus tristes, &et mal contens
Voire de dueil presque tous impotens
Voyant helas
85Nostre Daulphin susdict aux mortelz laz
Lequel estoit nostre ioyejoye &et soulas
Et reconfort.
ÔO faulse mort n’euz tu aulcun remort
AÀ sa valeur, ains que le mettre aà mort
90Si tresssoubdain ?
ScauoisSçavois tu pas qu’en tout le genre humain
Ne se trouuoittrouvoit vngung Prince plus humain
AÀ toutes gens ?
ScauoisSçavois tu pas que Docteurs, &et Regentz
95Der ses propoz, gestes, &et entre gentz
S’esmerueilloientesmerveilloient ?
ScauoisSçavois tu pas que ceulx qui le veoyent
La deitedeité aà ioinctesjoinctes mains louoyent
De son scauoirsçavoir ?
100En esperant quelque iourjour de le veoir
Roy bien regnant, Roy faisant bon debuoirdebvoir
EnuersEnvers chascun.
Las il n’est plus dont le peuple commun
Et les plus grans n’ont appetit aulcun
105De faire chere,
Ains le voyant estendu dans la biere
f. Aiiii r°
Vont mauldissant ta main par trop legiere
Qui l’a happehappé.
L’ung a regret qu’il ne t’est eschappeeschappé,
110L’autre se plainct disant que l’as frappefrappé
Meschantement,
Et que d’ung traistre &et fainct enchantement
L’as endormy sans cause iniustementinjustement
Pour t’en venger.
115Bref son trespas aà plusieurs faict songer
Que laschement quelcun t’a faict forger
Sa sepulture,
Plusieurs aussi t’excusent de l’iniureinjure
Disant qu’as faict de son bien l’ouuertureouverture,
120Car en blessant
Ce bon Daulphin (encores adolescent)
Dieu l’a faict Roy trop plus riche &et puissant
Qu’il n’eust esteesté,
Et que hault es cieulx par sa grace &et bontebonté
125L’a coronnecoronné, esleueeslevé, &et montemonté
Si haultement
Que touttous les Roys de soubz le firmament
N’ont ne n’auront pareil contentement
ViuansVivans au monde,
130Puis dauantaigedavantaige encores nous habonde
Deux freres siens plains de grace &et faconde
f. Aiiii v°
Et de vertus
Dont tous deux sont si tresbien reuestusrevestus
Qu’aà Charlemaigne, Alexandre, ou Artus
135Seront semblables.
ÔO donc FrancoysFrançoys soyons leur secourables
Allons chasser leurs hayneux dommageables
Et les bouter
Si fort au batz, qu’ilz nous puissent doubter
140Craindre sans fin, &et sans fin redoubter
La gent francoysefrançoyse,
La gent sur toute autre doulce, &et cortoyse,
En quelque part, &et pais qu’elle voise,
La gent heureuse,
145La gent honneste, &et la gent gracieuse,
La gent benigne, &et la gent belliqueuse,
Qui aà ceste heure
AÀ faire dueil incessamment labeure
Pour le trespas, pour la mort vraye, &et seure
150De son Dauphin,
Auquel la mort a voulu donner fin,
Au grant regret de tous, aà celle fin
De nous apprendre
Que l’on ne doibt aux grans hõneurshonneurs s’attẽdreattendre
155De cestuy monde, &et que tout hõmehomme est cẽdrecendre
Soit pouurepouvre, ou riche.
Las elle a mis ce ieunejeune Prince en friche,
Qui eust mattematté ce grand Aigle Dd’autricheAutriche
S’il eust vaisqueu :
160Pallas iadisjadis luy donna son escu,
Et ne pouuoitpouvoit d’aucun estre vainqueu
Sinon par mort,
Qui toute chose humaine picque, &et mort.
OÔ quelle angoisse, OÔ quel piteux remort
165Quel souuenirsouvenir,
Quelle vertu (Sire) te peult tenir
Quel fermetefermeté peult ton cueur maintenir
En force humaine
De veoir ainsi par mort assez soubdaine
170Ton sang, tes os, &et ta chair ores saine
Et ores morte.
Quelle douleur, quelle tristesse forte,
VngUng dur malheur de ceste mort t’aporte,
Veoir ton enfant
175Ores gaillard, &et ores triumphant,
Que maintenant Atropos te deffend
De ne plus veoir.
Qui est le pere, en qui force &et pouuoirpouvoir
Ne se perdist. Qui ne pourroit auoiravoir
180Extreme dueil
Qui ne getast sans cesser lharmes de d’oeilœil
f. Bi v°
De regarder coucher en vngung cercueil
Filz autant bel
Qu’il en feut oncq, depuis la tour Babel,
185Mesme depuis qu’au monde feut Abel,
Filz de bonnairedebonnaire,
Filz bien nourry, sorty de si bonne aire,
Fust du coustecousté ou de pere, ou de mere
Qui en feut oncques
190Je n’ẽen veulx point excepter Roys quelcõquesquelconques
Du temps passepassé, &et qui furent adoncques
Tant vertueux,
Car nostre Roy a de vertus plus qu’eulx
N’eurent iamaisjamais. : scauentsçavent &et belliqueux
195De corps, &et face
Et de beaultebeaulté tous les Antiens passe,
La mere aussi des bonnes l’oultrepasse
Feust estimeeestimée.
OÔ quel honneur, oô quelle RenommeeRenommée
200Eust acquesteacquesté personne tant aymeeaymée
Ainsi qu’estoit
Ce beau FrancoysFrançoys, auquel Phebus prestoit
Tant de scauoirsçavoir, que tousiourstousjours acquestoit
Nom d’homme sage
205Et toutesfois qu’il n’eust encores l’aage
L’on n’en veoit qui le fust dauantaigedavantaige
f. Bii r°
En faitz &et ditz.
Or maintenant l’ame est en Paradis
AuecquesAvecques Dieu &et ses sainctz beneditz
210AuecqAvecq les anges,
Son corps en terre, &et ses belles louenges
Entre les mains de priuezprivez &et d’estranges
Qui le loueront
Tant que sera le firmament tout rond
215Tant qu’en la mer tous fleuuesfleuves tomberont
Tant que sera
Le monde entier. Et tant que passera
Parmi Lion la saoneSaone qu’on verra
Entrer le Rosne
220VngUng peu dessoubz., dedans la mesme saoneSaone,
Et que la Mer sera aupresauprès d’AuconneAnconne.
Vela comment
MaulgreMaulgré la mort sempiternellement
Il viuravivra, maulgremaulgré tout element
225MaulgreMaulgré enuieenvie
TousioursTousjours aura en cestuy monde vie
Combien que soit du corps l’ame rauyeravye
IamaisJamais mourir
Il ne pourra, ains verra on fleurir
230De plus en plus ses vertus, sans perir
En maint beau liurelivre,
En mainte pierre, en maint tableau de cuyurecuyvre
OuOù maintz beaux vers on verra s’ẽtresuyureentresuyvre
Tout aà son nom.
235Qui les fera ? Poetes de renom
Bons orateurs. Nul ne dira de nom,
Tous se mettront
AÀ composer, &et leurs mains s’esbatront
AÀ faire traitz. Desquelz ilz remettront
240Ce Prince beau
Or trespassetrespassé en vngung viurevivre nouueaunouveau
Et luy donrra on couronne ou chappeau
Plus que Royal
Vers qui honneur sera tosiourstousjours loyal,
245Loz vertueux eternel, &et feal,
Peu sont de telz
Les fleurs seront de boutons immortelz
Combien que soyent dispousesdispousés par mortelz
En ce bel ordre
250OuOù ne pourra le temps mettre desordre
Et ouoù la mort ne pourra iamaisjamais mordre
Quoy qu’elle face.
Helas mon dieu donne moy ceste grace
Que quelques fleurs de mon iardinjardin ij’amasse
255Pour y adioingdreadjoingdre
Pour vray mes fleurs pourroiẽtpourroient son honneur poindre
f. Biii r°
Beaucoup plꝰplus tost qu’aucune odeur luy ioindrejoindre
Tant sont agrestes
Il fault auoiravoir de ces Roses celestes
260Dont Macrinus a fait de si beaulx Textes
De ces beaux vers
Desquelz Dolet a fait liureslivres diuersdivers
Qui maintenant sont prisez, &et ouuersouvers
En mainte escole,
265Desquelz Borbon parmy le monde volle
Desquelz Marot en francoysefrançoyse parolle
Est extimeextimé,
Desquelz aussi Bouchet est renommé
Chapuy, Brodeau, &et vngung aultre nommé
270De sainct Gelais,
Duquel escript n’a besoing de balais,
Car il est net, &et sans aulcuns traiz lais
Et sans ordure.
IeJe ne voy point maintenant escripture
275(Mis hors Marot) qui ayt telle ornature
De Rhetorique
Comme la sienne. OÔ esprit deifique
Las vittement prends ta pleume, &et t’aplicque
AÀ composer
280Et ce Daulphin priser, &et allouser
Sur qui la mort a bien ozeozé pouser
f. Biii v°
Sa main mortelle.
Et vous aussi, qui auezavez plume telle
Ne chomez point : ains de voz Roses belles
285Faictes couronne
Qui aà iamaisjamais ce beau chief enuironneenvironne,
Qui aà iamaisjamais bruyt, &et louenge donne
AÀ ce beau corps
Qui fut si beau si ij’en suis bien records
290De telle grace &et dedans, &et dehors
Qu’il sembloit bien
Estre plustost diuindivin, que terrien,
Car il n’auoitavoit faulte, ou besoing de rien
Qu’on puisse auoiravoir
295Pour corps humain diuinementdivinement pourueoirpourveoir :
Assez de gens peuuentpeuvent cecy scauoirsçavoir
Qui tel l’ont veu.
Oultre il estoit d’atrampance pourueupourveu
De mal engin, &et d’orgueil despourueudespourveu
300Doulx, &et begnin
Comme vngung aigneau, ou vngung petit congnin
Humble, &et courtois, sans esperit malin
AÀ tous commun,
AÀ tous priueprivé, familier aà chascun
305Sans mal penser, sans mesdire d’aulcun
Que vous en semble
En escripuantescripvant cecy, la main me tremble.
Est il pas vray que ces Vertus ensemble
Estoient en luy. ?
310OÔ grande angoisse, oô merueilleuzmerveilleuz ennuy,
D’auoiravoir si tost perdu celluy. Celluy
Qui nous estoit
VngUng grand soulas, de l’espoir qu’il prestoit
AÀ vngung chascun : mesme desdès qu’il testoit
315D’estre vaillant
CõmeComme vnun Hector, &et preux comme un RollãtRollant
D’estre en scauoirsçavoir &et prudence excellant
Comme vnun Chato
Mais la furie infernale Alecto
320A tant prieprié Lachesis &et Clotho
Et Atropos
Que son ame est maintenant en repos
Et que la chair habandonne ses os
Par pourriture
325OnOr fault venir aà toute creature
Par icelle loy que dieu mist en nature
Lors que le diable
Feist transgresser le premier miserable
Or il est mort le mal est incurable
330Dieu luy pardonne.