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Complainte de vertu iadisjadis mise enuersen vers latins par frere Baptiste mantuanMantuan :, et cõuertieconvertie par Michel Dd’amboyseAmboyse dict Ll’esclaueEsclave fortunefortuné en rime francoysefrançoyse aà tresreuerendtresreverend pere en dieu messire IehanJehan de la roche foucaultLa Rochefoucault euesqueevesque de Mende.
f. 15 v°MOyMoy qui suis neenée en la maison supere
De iuppiterJuppiter le mien seigneur de pere
Qui suis creecréée auantavant que nul des astres,
Dont vient q̄que suis hors des terrestres castres,
5Dont vient que suis deschasseedeschassée et bannye
Du mortel monde et de sa compaignie ?
Peut il point estre esès negoces humains
Que ij’aye obmis y mettre mes deux mains
OuOù quelque foys si tant ingrate fuz
10Que de secours leur aye fait reffuz
Ou bien si plus de mon armeure munde
N’a plus besoing le miserable monde ?
Dont vient cela que ce genre debille
Ne vient vers moy cercher support vtilleutille
15Et suffisant pour combatre les filz
Du roy Pluton qu’en enfer tumber fiz,
Est si tresfort ma puissance tarye
Que ieje ne puisse auoiravoir gendarmerie
Pour me donner en toutes leurs seruicesservices
20Ainsi que font pour le pechepéché les vices,
N’ay ieje industrie/, ou bien entendement
Pour me deffendre et les miens seurement ?
f. 16 r°
Si ay/, si ay, besoing est de le dire
Qui qui en vueille ou parler/, ou mesdire,
25Celle ieje suis qui fortune combat,
Qui son pouoirpovoir deffaict, romp et abbat,
En chascun temps detestant les forfaitz
Lesq̄lzLesquelz souuentsouvent m’ont beaucoup de tors faitz,
Encores plus ieje maistrise et ruyne
30Sathan d’enfer plutoPluto et proserpineProserpine
AÀ celle fin que sans aucun dangier
Lassus au ciel l’homme puisse renger,
C’est le mien art/, c’est aussi mon office
De luy monstrer le chemin plus propice
35Par ouoù pourra venir au firmament,
Le meilleumeilleur suis qui faitz separement
Des deux chemins d’enfer et paradis
OuOù sont encor les pas lesquelz iadisjadis
En cheminant y formerent les peres
40Qui maintenant possedent les supperes.
OuOù les chãpschamps sont en toꝰtous temps florissãsflorissans
Doulx/, opulans/, fertilles/, et puisssans.
AuecquesAvecques moy n’a amour ne demye
La voluptevolupté ma mortelle ennemye,
45Encontre d’elle et de ses alliez
Mes estandars sont tousiourstousjours desliez
Pour l’heritaige honnorable et entier
f. 16 v°
De l’olimpicque et celeste sentier,
VngUng iourjour ne suis sans combat ou mesleemeslée
50Car ma terre est toute en discord mesleemeslée,
Mon regne gist entre mes ennemys
Qui ne sont aà me mal faire endormys,
D’eulx touteffoys ieje n’ay aulcune crainte
Car ieje ne peulx par iceulx estre estaincte
55Et tant plus ieje de labeurs et trauaulxtravaulx
Forte ieje suis tant plus :, et tant plus vaulx,
Et touteffoys qu’il m’est besoing combatre
Treshardiement ieje combatz :, car me batre
Nul n’a pouoirpovoir : vainqueue ne puis estre
60Tant est puissante et vallide ma destre
Et s’il aduientadvient que quelque violence
Soit infereeinferée encontre ma puissance
Paciemment ieje la porte et endure
Sans point trouuertrouver mon infortune dure,
65Encores plus : par ma doctrine affable
En peu de temps ieje rendz l’hõmehomme semblable
AÀ la nature/, olimpicque et diuinedivine.
Sans moy iamaisjamais on n’eust veu l’origine
De la mondaine et celeste influence,
70La naturelle et mortelle puissance
Sans moy estoit ygnoreeygnorée et non sceue
Car ieje m’en suis la premiere aparceue
f. 17 r°
Dont sont venus la fouldre et le tonnerre,
IeJe la premiere ay monstremonstré sur la terre
75Celle ieje suis par qui force phebicque
Est declaireedeclairée aà l’ame telluricque,
Celle ieje suis/, par qui premierement
Fut enseigneenseigné l’aquaticque eslement,
Celle ieje suis par qui est magnifeste
80La grand doulceur/, et la pitiepitié celeste
Par qui on scet l’unicque et seulle essence
Du dieu haultain avec double naissance.
IJ’ay enseigneenseigné et monstremonstré aux humains
De comprimer les leurs meurs inhumains,
85Pareillement les loix Solonigenes
Les documens Ligurgicques Dd’athenesAthenes
IadisJadis donnay :, ceulx aussi de Numa
Que le romainRomain si tresfort extima,
Les loix aussi de Dracho tant congneues
90Sont de moy seulle esmaneesesmanées et venues,
Les documens par Moyse donnez
Furent par moy construitz et ordonnez,
Brief toute loy (tout precepte) et tout droict
Desquelz on vseuse au monde orendroit
95De moy ont prins principe/, et naissement,
Soubz ma conduyte a eu gouuernementgouvernement
Sus Persiens Belus/, et sa sequelle
f. 17 v°
Qui m’ont seruyservy de sorte ne scaysçay quelle,
Par mon ayde et contenu secours
100Sur tout le monde a eu Rome le cours
Et d’icelluy la regence totalle,
Compaigne estoye aà la turbe grecalle
Quant elle alloit du puissant port d’aulideAulide
Contre troyansTroyans pour leur suruirservir de guyde,
105Soubz ma conduyte et enseigne non ville
Fut mise aà sac Carthaige noble ville
Par Scipion cappitaine Romain,
Soubz ma conduicte aussi soubz autre main
IherusalemJherusalem pareillement Corinthe,
110D’elles chascune en pouoirpovoir fut estaincte,
Mise aussi fut arethuseArethuse aà l’espeeespée
Par mon conseil du puissant duc pompeePompée,
Par mon moyen Bachus le batailleur
Sur indiensIndiens fist courir sa valleur
115Auquel pays vneune ville fut mise
Laquelle encor de luy se nomme Nyse,
Par mon moyen les fortes Amazones
Furent en guerre et vaillantes et bonnes,
Par moy aussi et ma seulle conduyte
120Les gens de dieu furent mis hors d’egipteEgipte
Lesquelz ieje fiz par mon seul trauaillertravailler
Passer la mer/, aà pied secq sans mouiller,
f. 18 r°
IJ’ay inuenteinventé galleesgallées et gallions,
Tesmoings en sont les gregeois auironsavirons
125Qui ont conquis la tresriche toyson
Soubz la conduyte du pariureparjure IasonJason.
Celle ieje feuz qui donna si grant cueur
AÀ herculesHercules qui fut maistre et vainqueur
D’archelausArchelaus/, de l’ydraYdra/, des harpiesHarpies
130Dont de par luy deux furent asoupies.
Celle ieje suis qui le roy d’angleterreAngleterre
Contraintz fuyr les francoysFrançoys et leur terre
Lors qu’une IehãneJehanne (ainsi estoit nommeenommée)
Par France fut si tresfort exstimeeextimée.
135Celle ieje suis :, qui aà Charles huytiesme
Fist posseder couronne et diadesme
Et obtenir de Naples le royaulme
Sans coups ferir sur armet ou heaulme,
Puis retournant en son pays de France
140AÀ peu de gens et aà grosse souffrance
Par mon moyen et maniere fort nosuenosve
Luy fis gaigner le camp presprès de fornauueFornauve.
Par moy Loys douziesme du nom
Par maint pays acquist bruyt et renom
145Et mesmement entre venitiensVenitiens
Qui furent matz par luy et par les siens.
Celle ieje suis par qui le roy Françoys
f. 18 v°
D’euureeuvre/, de faict/, de nom/, aussi francoysfrançoys
Les SueuiensSueviens q̃qui par leur nõnom vaincs cueurs
150S’osoient nommer de tous princes vaincqueurs
Furent batuz vaincuz et surmontez
Pource qu’en gloire estoiẽtestoient trop hault mõtezmontez.
Celle ieje suis :, qui au legat Dd’amboyseAmboyse
Donnay pouoirpovoir : sur la terre françoyse,
155Et gouuernagouverna par moy et mon moyen
Le roy Loys sur tous roys terrien.
Celle ieje suis/, quoy que personne en dye
Qui tel honneur donne en lombardieLombardie
Au bon seigneur de chaulmõtChaulmont nõmenommé Charle
160De qui encor mainte personne parle
Si noblement se s’y estre maintenu
Qu’aulcun depuis qui sis’y seroit tenu.
Celle ieje suis qui le prince de foisFois
Duquel encor bien grand extime foixFoix
165Conduytz iadisjadis au seioursejour de mourir
Pour vaillamment son pays secourir.
Celle ieje suis par qui de tallemontTallemont
Le prince fut et aualaval et amont
PrisePrisé, loueloué, extimeextimé et fort craint
170Tant que le viurevivre en son pouoirpovoir l’a taint.
Que fault il dire au lõglong plꝰplus de mes faitz ?
f. 19 r°
Celle ieje suis qui riches pourespovres faitz,
Qui donne biens et opulance aux gens
Les faisans ducs/, princes/, roys/, et regens,
175Celle ieje suis par qui distinction
A esteesté faicte en toute nation
De la maistrise et regence des hommes,
Lesquelz pareilz estoyent comme les põmespommes
D’ung seul pommier, l’ung aà l’autre de goust
180Mais tomber fiz l’eaue de mon esgoust
Dont ij’arousay les aulcuns tellement
Qu’ilz ont acquis bruit/, et gouuernementgouvernement
Par dessus ceulx :, qui leur estoyent pareilz.
OÔ que puissans sont les miens appareilz
185Quant ieje les veulx applicquer aà ma guise,
OÔ que ieje puis en l’humain ouoù ieje vise
Que ieje suis seure aà celle qui me quiert
Et qui d’aide humblement me requiert !
Tout le bien suis/, tout l’honneur que iadisjadis
190Aux muses fut estre mien ieje le ditz,
Tout le sainct bruyt que qu’Apolo conquesta
Par mon moyen ce fut qu’il l’acquesta.
Celle ieje suis par puiqui sont faits miracles,
Celle ieje suis qui donne les oracles,
195Celle ieje suis qui aux humains pouoirspovoirs
Infonde/, et metz espritz et bons scauoirssçavoirs,
f. 19 v°
Moymesmes suis le ruisseau castallin
Que d’aultres ont appelleappellé caballin,
Moymesmes suis palasPalas : ieje suis mynerueMynerve,
200IeJe fuz maistresse :, et maintenant suis serueserve,
IJ’ay diuersdivers noms :, et soubz diuersediverse espesse
L’anticquiteanticquité honnora ma noblesse,
IeJe ne puis estre en aucun temps malade,
Cours eternelz ne rendent mon tains fade,
205IeJe suis tousiourstousjours ieunejeune/, puissante/, et verte,
Incessamment d’eterniteeternité couuertecouverte,
Planetes/, rien/, rien les haulx mouuemensmouvemens,
Rien ne me peult quelc’un des ellemens
Me faire mal en aulcune manière,
210Ne peult titanTitan/, ny sa chaulde lumiere
Pour faire fin contre le mien cueur munde,
Nul n’a pouoirpovoir :, au moins qui soit au monde ;
Ma puissance est predestineepredestinée telle
Qu’elle regist toute chose mortelle
215Et mesmement l’immortelle maistrise
Par tel moyen :, que ij’en foys aà ma guise,
Or nonobstant mon sens et mon valoir
Suis des vivans bouteeboutée aà nonchaloir,
IeJe suis laisseelaissée et en exil cacheecachée
220Par les mondains :, dont ieje suis fort facheefachée,
Errante suis par foretz et par plains
f. 20 r°
Faisant clameurs/, et tresdouloureux plains,
IeJe crye assez : personne ne m’escoute
QuãtQuant aà mõmon fait :, q̃qui peult veoir ne voit goute,
225Nul ne me quiert :, chascun de moy s’eslongne
Aulcun viuantvivant pour luy ne m’embesongne,
Et ce que plus me faict mal aà la teste,
Aulcun ne veult pour rien me faire feste,
Peu des humains quoy qu’ilils puissent auoiravoir
230Aucun vouloir n’ont de me recepuoirrecepvoir,
De me loger et tenir :, on a honte,
Au temps qui court on ne tient de moy cõtecompte
Nomplus que si ieje fusse prisonniere,
Tant des mondaĩsmondains ingrate est la maniere.
235Peu de gẽsgens sont q̃qui congnoissent mõmon cours
Dont leurs creditz sont aucuneffoys cours
Et leur puissance est de peu de dureedurée
Si ieje ne suis de par eulx endureeendurée.
Ne se fault donc esbahir si seullete
240Le mien exil maintenant ieje regrette,
Si par ces boys :, ouoù ieje suis habitante
Incessamment ieje pleure et me tourmente,
Si ieje foys dueil et plainte non ouye
Puis que de tous ieje suis ainsi fouye,
245De tous ieje ditz/, non que tous me delaissent
Mais la pluspart dont douleurs ne me sessẽtcessent
f. 20 v°
Le plus des gens me fuit/, et me dechasse
Et autre bien que mal ne me pourchasse,
Dont ne me puis bonnement contenter
250Veu que tousiourstousjours on me veoit intenter
De donner biens/, et auoirsavoirs oppullans
AÀ ceulx qui sont aà ne me m’extimer lans,
Et le desir que ij’ay le plus immense
C’est de chasser celle folle demence
255Que maintenant voy regner entre gens,
Laquelle faict les riches indigens,
Les indigens en tout temps souffreteulx,
Les souffreteux/, honteulx/, et marmiteulx,
Les marmiteux villement sans secours
260Mourir de fain/, par chãpschamps/, chemins/, et cours,
Dequoy ieje suis grandement desplaisante
Pourtant que suis aux hommes si aysante
Que deuersdevers moy s’ilz prenent leur chemin,
Si bon secours leur donneroit ma main
265Qu’en lieu d’auoiravoir pouressepovresse et penurie
Auroyent cheuancechevance/, et haulte seigneurie.
OÔ monde ingrat/, cruel/, et sans pitiepitié,
Monde mauvais remply d’inymitieinymitié
Sans foy ny loy/, obliant mes merites,
270PriuePrivé de bien et de faconsfaçons inclittes,
Riens tu ne tiens des peres antiens
f. 21 r°
Qui furent tant de mes oeuvresœuvres sciens.
OÔ roy Numa qui par tes faitz humains
Es dit tresiustetresjuste entre tous les rommainsRommains.
275OÔ vous cathonsCathons progenye virille
Qui fustes tant aux quiritesQuirites vtilleutille.
OÔ toy torquatTorquat qui si fort te fiz craindre
Pour le tien filz que par mort fiz estaindre,
Qui conquestas (non pas sãssans grãdegrande peine)
280Du fort gauloysGauloys la tresheureuse chaine.
OÔ deciensDeciens et le pere et le filz
Par qui iadisjadis tant de gens ieje deffiz.
OÔ fabienFabien qui quint surnommesurnommé fuz
Par qui iadisjadis Hannibal fut confuz
285Et dechassedechassé d’ytalieYtalie par attendre.
OÔ toy pompeePompée inferieur et mendre
Tant seullement aà cesarCesar de fortune,
De qui le mal et peruerseperverse infortune
Me fut si fort desplaisant et nuysible,
290Las deuantdevant vous s’il m’estoit or loysible
D’actionner :, et prouocquerprovocquer la gent
Qui plus que moy ayme et prise l’argent,
IeJe suis certaine et le cuide ore endroit
Que me feriez d’iceulx tresiustetresjuste droit,
295Mais pour ceste heure admis il ne m’est poĩtpoint
De vous conter mon cas de point en point,
f. 21 v°
Permis ne m’est deuantdevant iugesjuges tant iustesjustes
Plainte former de ces mondains iniustesinjustes,
Bien ieje me peulx complaindre &et doulouser
300Seulle es forestz et lalà me repouser
Si ij’ay desir de repos me garnir.
Par mal me fault loing de vous me tenir,
Par mal me fault les mortelz eslongner
Qui auecquesavecques moy n’ont cure besongner,
305Mais me tenir tousiourstousjours loing d’eulx bannie
De leurs maisons/, leurs biens et cõpaigniecompaignie.
Ma gemissance en secours non pourueuepourveue
Aucunement n’a grace d’estre veue,
DeuãtDevant les gẽsgens point ne viẽnentviennent mes plaĩtesplaintes
310Car trop loĩgloing d’eulx sõtsont faictes mes complaĩtescomplaintes
Qui par les boys et voyes peu exstimeesexstimées
Sont maintenant par ma bouche semeessemées,
Et ne peult on icelles escouter
Pource que nul ne vient cy habiter,
315OuOù ieje suis seulle auecquesavecques oreadesOreades,
Me promenant soubz ces vertes fueillades.
Les hõmeshommes fõtfont beaucoup de plus au vice
Qu’aà moy vertu d’honneur et de seruiceservice,
Et dauantaigedavantaige on entreprend de faict
320AÀ soustenir le tort et le meffaict,
Et maintenir le pechepeché en vsaigeusaige
f. 22 r°
Par vneune audace/, et assuray visaige
Dont maintenant raison et sainctes meurs
Fuyent chasteaulx/, les citez et leurs/ meurs,
325Paix et police or sont priueesprivées du monde
Tant esest la gent malle/, inique/, et immonde,
Et vers le ciel ont retireretiré leurs pas
IusticeJustice et droit/, que le monde n’a pas,
D’amour aussi les gens sont despechez
330Pour le venir du vice et des pechez
Qui aà present aysement sans espeeespée
Toute la terre ont prinse et occuppeeoccuppée,
Exulle amour des gẽsgens se tient aux champs
Pour l’auariceavarice de ses soubzdars meschans,
335Rien n’est en cours par le monde :, sinon
Ce que iadisjadis monstra le grec Sinon
Par qui priamPriam et sa ville de troyeTroye
Furent aux GreczGrecz donnez viande/, et proye,
Rien n’est en cours :, sinon inimitieinimitié,
340Le filz n’a point de son pere pitiepitié
Et de son frere et seur ne se soulcye,
Il n’est parent qui son parent n’occie
L’oste de l’oste or n’est point asseureasseuré
De l’ung l’autre est laidement pressuray.
345Si d’auentureaventure on a riche apperceu
Frauday trompetrompé attrapay et deceu,
f. 22 v°
Soubdainement treuuetreuve qui le relieuerelieve
De son naufrage/, et decepuancedecepvance griefuegriefve,
S’il a parleparlé ou faict choses superbes,
350S’il a commis crimes durs/, et acerbes,
Il treuuetreuve assez qui tost le iustifiejustifie,
Mais l’indigent :, lequel en tout se fie
S’il est deceu/, chascun s’en rit et mocque
Et dessus luy villaines on enrocque.
355Si saigement il parle :, et selon dieu,
AÀ son parler on ne donne aucun lieu,
Mais si le riche vngung parler dit et tient,
Chascun se test et sa langue contient,
Donnant ayde aà tout ce qu’il propose
360Et sur son dit telle fame on adpose
Qu’il est leuaylevay par motz couuerscouvers et faintz
IusquesJusques aux cieulx (ouoù habitent les sainctz),
Si l’indigent se veult lalà auanceravancer
Pour declairer ce qu’il peult bien penser
365On dit soubdain : « qui est ce villain icy ?
Fault y qu’il parle :, et qu’il se monstre icy ?
Mais digne est il de se trouuertrouver en place
OuOù l’on peult veoir imperialle face.
S’il parle bien :, vela ce qu’on en dit,
370S’il parle mal :, lors chascun en mesdit,
Chascun le boute et chascun le tourmente
f. 23 r°
Le plus souuentsouvent sans raison apparente.
OÔ gent meschante et peuple tresmauldit,
Ne scez tu point ce que salomonSalomon dit
375D’ung pourepovre bon :, et viuantvivant saigement
Est trop meilleur que n’est riche dement.
Que fault il plus ? malMal a prins la couronne
De l’occian et ce qu’il enuironneenvironne,
IniquiteIniquité a mis par tout le monde
380Son exercisse ort/, puant/, et immunde,
PechePeché empesche les voyes et les chemins
Si que par luy sont meurtriz les humains
Et le meilleur et le plus santissime
Qu’on sache faire au iourjour presantissime
385C’est de scauoirsçavoir endurer et patir
Toute amertume ainsi qu’ung vray martir
En attendant que ce pechepeché mauldit
Soit des humains habiter interdit
Comme il sera pour vray bien briefuementbriefvement,
390Car le facteur du ciel et firmament
AÀ toute chose a donnedonné part esgalle
Ou de seruiceservice/, ou regence royalle,
TousioursTousjours le ciel n’a semblable influence,
Ceste heure un cas :, soubdaĩsoubdain un autre avãceavance,
395L’ung maintenãtmaintenant ferme/, &et puis l’autre ouureouvre,
Tel riche on veoit :, q̃qui est tout souldain pourepovre,
f. 23 v°
Tel est regent :, qu’on veoit soubdainement
Estre sans biens et sans gouuernementgouvernement,
Tel est ce iourjour de tel homme priseprisé
400Que lendemain est de tous desprisedesprisé,
Telz auiourdhuyaujourdhuy sont charnuz et massifz
Lesquelz seront demain plus que transsiz,
Brief tel sera auiourdhuyaujourdhuy le premier
Lequel sera lendemain le dernier,
405Et tel ennuyt aura tresgrant richesse
Que l’on verra auoiravoir demain pouressepovresse,
Ainsi le ciel se gouuernegouverne et comporte.
Prudence fut le temps passepassé si forte
Qu’elle tenoit du tout en sa saisine
410Toute la terre et mondaine machine
Et mesmement lors que par folz itens
Vouloient le ciel occuper les Titans.
Et violer par leur ferociteferocité
Les trosnes grans de l’immortaliteimmortalité
415Pour faire amatz de rochiers et de mons,
Ce fut alors que par distinqs sermons
BesseeBessée fut leur grant presumption
Par la diuinedivine et haulte intencion,
Et maintenant celle qui fut tant grande
420Qu’on requeroit :, requiert/, prie/, et demande.
Ma seur pitiePitié alors tant obeye
f. 24 r°
Est maintenant de tous desobeye,
On n’en tient compte :, et elle fut iadisjadis
PriseePrisée tant que sainct de paradis,
425Astres ainsi toutes choses promainent
Et lalà les vngsungs et les autres cy mainent
Le leur pouoirpovoir desmollir et deffaire,
Chose seroit trop malaiseemalaisée aà faire
Parquoy vault mieulx attendre l’aduentureadventure
430Qui tost viendra selon ma coniectureconjecture
AuecqAvecq proffit (qui qu’en vueille parler),
Mais ce pendant est besoin de caller
Et donner place aà ce mal inuincibleinvincible
Comme aà la chose aà regir impossible.
435IeJe ne me plaĩsplains que mal sur moy survndesurunde
Et que ieje soye exulle et vaccabonde
Mais ieje me deulx :, dont ieje voy tant de gens
Estre dampnez par maulx griefz et vrgensurgens,
Estre menez aà torture infernalle
440Que de dureedurée on maintient non finalle,
IeJe ne perilz :, moy qui suis delaisseedelaissée,
Ains sont ceulx lalà :, par lesquelz suis laisseelaissée
Et comme suyt le folliant follye
Ainsi l’errant/, l’erreur suyt/, et le lye,
445Mais touteffois si licite aux humains
Estoit de veoir mon visaige et mes mains,
f. 24 v°
Certaine suis que leur seroys si belle
Que voluptevolupté ne leur sembleroit telle
Qui les abuse en ses vaines promesses,
450Dieu n’a voulu que les haultes richesses
De ma beaultebeaulté aux yeulx fussent visibles
AÀ celle fin que mes faitz inuisiblesinvisibles
Fussent requis par trop meilleure estude.
Plus immense est celle sollicitude
455(Doit estre au moins) qui concerne la chose
TresdesireeTresdesirée estant chere et enclose
Que celle lalà qui est habandonneehabandonnée
Et aà chacun en habendon donneedonnée.
OÔ miserable/, et mortel genre humain,
460ApresAprès auoiravoir perdu le vray chemin
De l’heritaige/, olimpicque et tresfauste
ApresAprès le fait du premier protauplauste
Et son exil trestriste et malheureulx,
Qu’eust dieu puissant peu faire plꝰplus heureux
465Pour toy/, les tiens/, et toute ta ligneelignée
Que de m’auoiravoir aà toy acompaigneeacompaignée
Qui te suis voye et chemin fortunay
Par qui tu peulx estre lassus menay
OuOù est bon heur/, et eternel soulas.
470OuerteOverte t’est la porte du ciel : las
Et tu ne veulx dedans le tien pied mettre,
f. 25 r°
Suis ton guydonguydõ suis ton enseigne &et maistre,
Va celle part, adresse lalà ta voye
Et garde bien que mal ne te desuoyedesvoye
475Et que Pluton auecquesavecques sa compaignie
Ne te tresbuche en douleur infinye.
Plus ne propose enfer ny ses consors
Aux siderez/, et celestes tresors
OuOù font les dieux demourance eternelle,
480LaLà iamaisjamais n’est neige/, gresil/, ou nelle,
IamaisJamais n’y pleut/, iamaisjamais aussi n’y vante,
Encores plus de cella ieje me vente
Qui n’y demeure ou soit fouldre ou tõnerretonnerre
Et dauantaigedavantaige (en mes propos ieje narre),
485En ces lieux lalà repos tousiourstousjours se tient
Et voluptevolupté eternelle retient,
Paix non futille est lalà tresflorissante
ClarteClarté ioyeusejoyeuse y est si trespuissante
Que la Phebicque est moins q̄que rien au pris ;
490Que diray ieje ? cC’est le plus beau pourpris,
Le plus beau lieu :, la plus belle demeure
Que l’on pourroit requerir aà toute heure.
Ha genre ingrat :, et penseespensées arrogantes,
Semence ygnoble/, ames degenerantes,
495Peuple mauldit :, le brutal immitent,
T’esbahistesbahist tu si dieu est mal content
f. 25 v°
De toy/, tes faitz/, &et tes oeuuresœuvres prophannes ?
Il est ton pere :, et de luy tu te tannes,
Il t’a donnedonné sur air/, et ciel puissance,
500Sur eaue/, et feu (ouoù rien ne pourrois sans ce
Qu’il eust vers toy contraint tout ellement),
Et touteffois ne faitz aulcunement
Compte de luy :, des siens :, ny de ses faitz,
DõtDont tu digne es d’auoiravoir de grãsgrans maulx faitz,
505Tu fuys ton pere :, et fuys sa compaignie
Et qu’il soit cil mauuaisementmauvaisement tu nye
Qui t’a donnedonné les biens que tu possede.
DõtDont viẽtvient tel mal/, mais de q̄lquel lieu procede
Si grande raige/, ou mieulx presumption,
510Mais quel tourment ou quelle passion
Est digne assez pour t’estre confereeconferée ?
Peine en enfer t’est desiadesja prepareepreparée
Si tu ne change autrement le tien viurevivre
AcoupÀ coup ! acoupÀ coup ! de ce mal te deliuredelivre
515Ce temps pendant que tu as le loysir,
AÀ ta venusVenus ne prens si grant plaisir,
Laisse ce dieu Genieus appellay
Ou tu seras de bien brief affollay,
Laisse ta gloire :, euitteevitte ta follye
520Qui ton esprit des liens d’enfer lye,
Suys les miens pas :, et aussi ma science,
f. 26 r°
Viens apresaprès moy et ne treuuetreuve sy en ce
Et tu verras que ij’ay plus grant pouoirpovoir
Que n’est celuy de voluptevolupté pour veoir.
525Mais que me vault si fort me tourmẽtertourmenter ?
Que me proffite ainsi me lamenter ?
Pour larmoyer ieje gaigne assez petit
Pource qu’aulcun n’a cueur ny appetit
De m’ensuyuirensuyvir :, ny d’escouterescouter mes plains
530DõtDont tous les chãpschamps et les chemĩschemins sont plains.
Ceste douleur/, et ceste passion,
AÀ quelle cause :, aà quelle intencion
Romp et deffait ton estomac languide
Dame Vertu ? au temps passepassé floride
535Et maintenant ainsi que vieille seiche
Totallement dure/, pourrye/, et seiche,
IeJe n’ay espoir en mes humides larmes,
Aulcun secours ieje n’entensentens par mes termes
Fors que ieje scaysçay/, et que ij’ay congnoissance
540Que dieu tout poyse aà tresiustetresjuste ballance,
Lequel vngung iourjour ainsi comme ij’entensentens
(Mais que propice aà cella soit le temps),
Me remettra en ma possession,
VengantVengeant ma dure/, et griefuegriefve affliction.
Cy finist la cõplaintecomplainte de vertu traduyte
de Mantuan en la callamitecallamité des tẽpstemps.